Grégory MICHEL a participé à la Race Across France 2025. Il nous raconte son périple.
Le lundi 16 Juin à 21h08, je prenais le départ de la Race Across France, pour une traversée de 1000 km de Clermond-Ferrand jusqu’à Mandelieu la Napoule.
La RAF, c’est une course d’ultra distance sur route en semi autonomie. Sur le parcours il y a deux bases de vie sur lesquelles les participants peuvent trouver de l’assistance, restauration et repos, mais sur tout le reste du parcours nous devons être complètement autonome (nourriture, mécanique, hébergement).
Cette année, je suis dans la catégorie Solo et le drafting (aspiration) est interdit. Je ne pourrais donc compter que sur moi-même ! Je m’élance à la tombée du jour (un concurrent part toutes les 30 secondes et nous sommes 365). La sortie de l’Auvergne est plutôt clémente même si dès le km 30, nous attaquons un premier col. Ce sera le début d’une longue série et cette section plane sera en fait la plus longue du parcours. J’ai prévu de rouler toute la nuit, et de ce fait j’ai apporté une bonne quantité de nourriture avec moi, notamment des parts de pizza judicieusement calées dans les poches de mon cuissard ! Durant cette première partie de nuit nous avons 3 petits cols à monter et l’altitude frôle avec les 1000m. Je me fais largement dépasser par beaucoup de concurrents (car je suis parti dans les premiers), mais je ne m’affole pas, je reste fidèle à mon plan. J’ai l’expérience de l’année dernière : je sais qu’il faut se préserver. Le milieu de nuit est glacial et je suis obligé de m’arrêter pour enfiler des couches chaudes. Vers 4h30 du matin, je décide de faire une petite pause. En effet, la première difficulté sérieuse se présente devant moi : il s’agit de l’ascension du Mont Gerbier de Jonc 33km de montée jusqu’à 1551m d’altitude. Je fais donc une sieste de 10 min dans un abribus et je me lance. La difficulté durant la nuit est de se ravitailler en eau, et quand on aborde de longues montées il faut savoir anticiper. La pente est modérée et l’ascension est agréable. Le jour se lève et les paysages sont magnifiques. Je suis au sommet à 7h00 du matin. Je commence à avoir faim, mais la descente (à ma grande surprise) est en fait un long faux plat descendant avec vent de face qui traverse des petits villages. Malheureusement, je ne trouve rien pour me restaurer. Je dois attendre 10h30 pour trouver une boulangerie et faire ma première vraie pause après 13h de vélo et 260km. La suite de la journée s’annonce très chaude. Nous traversons le Rhône et je m’arrête vers 14h30 à Vaison La Romaine pour manger rapidement une salade. Il est 14h30 et j’ai parcouru 322km pour 4237m de D+. Les 60 km suivants se déroulent sur un profil montant et se terminent par l’ascension du col de Macuègne à 1068m. Je m’arrête de bonne heure vers 20h30 dans un hôtel a 1km de la trace pour passer une bonne nuit. Il s’est passé 24 heures depuis mon départ et j’ai réalisé 380km pour 5355m D+ !
Cette année j’ai mieux préparé mes arrêts et j’ai avec moi des sachets de boissons de récupération et de la nourriture lyophilisé. Je profite un peu de la soirée et je dors 5 bonnes heures. A 3h45, le mercredi 18 juin je suis prêt à repartir, avec un premier défi de taille l’ascension de la montagne de la Lure (petite sœur méconnue du mont Ventoux). La Lure c’est quasiment 30km d’ascension classée HorsCatégorie, je suis bien content de le faire à la fraîche car la montée très sauvage présente peu de point de repos. Durant la montée je m’aperçois que je n’ai pas fermée ma sacoche arrière, trop de précipitation lors mon dernier arrêt ravitaillement en eau. Ouf je n’ai pas perdu ma veste chaude (indispensable en haute montage), je me rendrais compte quelques heures plus tard que j’ai quand même semé des éléments sur la route (chaussettes et manchettes…). Au sommet à 8h00 je profite un peu de la vue à 1745m d’altitude. S’en suit une belle descente rapide puis un petit déjeuner bien mérité dans la ville de Saint-Etienne-Les-Orgues. Le prochain objectif est d’atteindre la base de vie à Dignes Les bains, pour cela je dois parcourir encore 100km dans la chaleur sur des routes cassantes et au relief varié ! Néanmoins le plaisir est là, car la trace est très rurale, les paysages magnifiques et nous ne sommes pas embêté par la circulation. Je peine un peu dans la dernière heure car le vent se renforce et il faut encore passer un col (Epinouse a 838m). J’arrive enfin à la base de vie de Dignes à 17h00 avec 579km au compteur et 8433m de D+. Il fait une chaleur harassante, et cela devenant une mauvaise habitude pour moi je ne suis vraiment pas efficace à la base de vie. Au programme récupération du drop bag, douche, changement des affaires propres/sales, le plein de nourriture dans les sacoches, changement des power bank, une petite sieste et un repas. Tout cela me prend 2h, quand certains concurrents ne restent que 1heure, j’ai de quoi optimiser mon organisation. Pour cette fin de journée je souhaite atteindre la ville de Saint-André-Les-Alpes, j’y ai trouvé un petit airbnb. Pour cela je dois parcourir encore 70km avec 2 cols bien corsés à franchir : le col du Corobin à 1217m (aux pourcentages difficiles) et le col du Défens à 1230m. Avec la tombée du jour la lumière sur les montagnes rend le paysage sublime, quel bonheur ! Une petite frayeur nocturne dans le dernier col : ma lampe avant se coupe, puis celle de rechange aussi (je les avait mal branchées à la base de vie, grosse erreur), je dois finir la descente (une route en très mauvaise état) avec la frontale de mon casque, je ne faisais pas le malin. J’arrive finalement en un seul morceau à Saint-André-Les-Alpes, nous sommes le mercredi 18 juin, 23h50, j’ai 651km et 9819m de D+. Je mets le réveil pour 4h de sommeil.
Jeudi 19 juin, départ un peu avant 6h du matin, c’est une journée de haute montagne car il faudra franchir (et surtout enchainer) 3 cols Alpins : le col des Champs, le col de la Cayolle et le Col de la Bonette, point culminant de cette aventure à 2800m. De bon matin il faut d’abord avaler 30 km de faux plat montant dans la vallée pour atteindre la ville de Colmars. Il ne faut pas rater la supérette à l’entrée de cette ville car c’est l’unique point de ravitaillement pour passer les 2 premiers cols ! Je me charge donc en eau, sandwich, wraps et gâteaux. La quantité de nourriture que nous avalons au cours de la journée est juste hallucinante ! La montée du col des Champs se passe plutôt bien, je suis de bonne heure et les jambes répondent favorablement. L’année dernière j’avais souffert de tendinite au genou, cette année j’ai donc adapté mon « protocole » : je fais une pause de 5 min tous les 45min, ceci afin de soulager les genoux. En effet avec notre chargement sur le vélo, nous montons tout à gauche (34*34 pour moi) en force avec une fréquence de pédalage assez faible (50 tours par minutes) quand les % avoisinent les 10%. Je suis au sommet à 10h00 passant pour la première fois la barre des 2000m d’altitude (2061m exactement). Je fais une pause casse-croute à l’ombre en bas de la descente, et j’enchaîne avec le col de la Cayolle. Celui-ci est beaucoup plus long (20km) et présente des % élevés. La température grimpe (35°C) et il y a désormais beaucoup de motos qui me frôlent à vive allure… Je fais néanmoins une bonne montée et j’atteins le sommet à 14h00 à l’altitude de 2326m. Mon prochain arrêt est la ville de Jausiers, juste avant le col de la Bonette. L’organisation y a prévu une petite base de vie pour se réfugier en cas de mauvais temps, effectivement à 2800m il peut se passer bien des choses ! C’est justement ce qui m’inquiète car le ciel se charge, l’organisation se veut rassurante et parle « d’orages secs localisés ! ». Je ne tergiverse pas trop et je m’élance à 16h45 dans cette montée assez unique de 25km, iI s’agit de de la « plus haute route d’Europe ». Très vite le temps se gâte, le tonnerre gronde, et nous montons sous une bonne pluie d’orage accompagné d’éclairs ! Je ne suis pas trop rassuré. J’aperçois d’autres participants devant et derrière moi, et aucun message de l’organisation, je décide donc de continuer. La pluie se renforce et malgré la veste GoreTex je suis complètement trempé. Les températures ont bien chuté, passé les 2000m d’altitude il fait à peine 10°C. Le denier kilomètre (le tour de la cime) est horriblement dur, c’est la seule fois ou je dois descendre du vélo. Quel soulagement d’arriver là-haut mais j’ai l’impression d’être dans l’œil du cyclone car la pluie s’arrête brutalement.
Je prends une photo mais il ne faut pas trainer, il est déjà 20h00 et je ne souhaite pas faire la descente de nuit. J’enfile des vêtement chaud (sous maillot, jambière, veste chaude, bonnet, gant, tour de coup) comme je peux par-dessous et dessus mes affaires mouillées, je le sais, la descente va être glaciale. Malheureusement dès le début de la descente, nous nous rendons compte (à ce moment-là nous sommes 3 au sommet au même moment) que cela va être beaucoup plus compliqué que prévu. En effet l’orage a surtout eu lieu de ce coté ci de la montagne, et cela a été un vrai déluge. A chaque lacet, il y a des éboulements sur la route, torrent de boue, cailloux et même un vrai tapis de glace/grêle. Il faut donc passer à pied prudemment et ce sur quasiment 5 km. C’est assez incroyable, beaucoup de voitures sont bloquées et nous voyons remonter les véhicules de gendarmerie et d’interventions, qui nous nous indiquent d’adopter la plus grande prudence. Avec patience nous finissons par passer cette zone et nous retrouvons une descente plus sereine. C’était bien agréable de ne pas être tout seul sur cette partie du parcours. A ce moment-là, j’apprends que l’organisation a décidé de suspendre la course car la préfecture vient de fermer le col de la Bonette. Ouf nous sommes passé à temps, quelle expérience ! Ce soir-là j’ai prévu de m’arrêter dans la ville d’Isola ou j’ai repéré un airbnb, Il est 22h00, j’erre dans la ville en recherchant désespérément l’adresse de cette location, après plusieurs dizaines de minutes je dois me rendre à l’évidence je ne suis pas au bon endroit ! L’annonce était ambiguë et mal rédigée, le logement se situe à Isola 2000, soit à plus de 2h de vélo hors trace !! Je n’ai donc pas de lieu pour m’accueillir, et je suis trempé et transi de froid. Il faut réagir, j’ai aperçu un plus haut un camping, je fais donc 1 km en sens inverse dans l’idée de « squatter » un emplacement. Une fois sur place, après repérage des lieux, je trouve un toilette handicapé, dans lequel je peux rentrer le vélo, fermer la porte, allonger mon matelas et il y a même un point d’eau. Le grand luxe en fait ! Le principal est acquis je dormirais au chaud ou presque (je n’ai pas de duvet, juste un bivy). Le temps de faire tout ça, il est déjà minuit, je mets le réveil pour 4h de sommeil, j’ai parcouru 833km et 14100m de D+.
La dernière journée s’annonce intense, et je l’ai largement sous-évaluée, notamment car je me rends compte qu’il reste à minima 3500m de D+ à avaler en 170km, ça va piquer sévère ! Je repars vers 5h le matin, après une nuit hachée, j’ai réussi à dormir mais par bribe seulement… Première erreur de la journée, ayant eu très froid la veille je me rhabille chaudement. Or nous sommes désormais à l’entrée de la Provence, la route ressemble à un long faux plat descendant plutôt qu’a une descente de haute montagne et il fait déjà chaud (20° à 5h). Je commence donc la journée par une bonne suée, malgré la pause petit déjeuner (ou j’enfile la tenue légère) je sens bien que mes sensations ne sont pas au top. S’en suit une portion de route assez désagréable (la seule du parcours qui m’a marquée) ou je longe le var sur une route que je qualifierais de Nationale (vers Touët-Sur-Var). A cette heure-ci, 8h00 le matin, la circulation est dense, les voitures/camions me frôlent, je ne prends aucun plaisir et donc je force un peu pour me sortir au plus vite de cette route : deuxième erreur ! Résultat je me mets dans le rouge, et malgré une pause rafraichissement, j’ai un bon coup de chaud. Dans le premier col provençal de la matinée (Col de saint Raphael) je ne suis pas bien du tout, sensation de fébrilité, les jambes flageoles et je détecte que mon cardio est un peu trop haut. Pour couronner le tout la température continue de grimper, il est 10h je suis au sommet et il fait déjà 32°C. Je décide de m’allonger 15 minutes à l’ombre et je m’endors immédiatement. Au réveil cela va un peu mieux, je mange et je poursuis dans la descente. La journée va être longue, je sais que le corps aura du mal à se remettre de cet épisode. Il me reste une difficulté à passer : le col de Bleine qui culmine a 1435m d’altitude, cela représente une 40aine de kilomètres d’ascension dans une fournaise, il fait 43°C, et pour compliquer le tout dans une zone qui ne présente quasiment aucun point de ravitaillement, cela s’annonce très difficile. Afin de garder le contrôle, et de ne pas mettre ma santé en danger, je décide d’appliquer les règles suivantes : je modère mon effort en vérifiant ma fréquence cardiaque pour ne pas dépasser 130 pulsations par minute, je m’arrose complètement toutes les 15 minutes, je me plonge dans les fontaines dès que possible, et toutes les 30 minutes je fais une pause à l’ombre. Je n’avance pas très vite mais je fini par arriver au sommet vers 15h30, il me reste 70km jusqu’à l’arrivée. A ce moment-là je sais que je vais finir cette épreuve, néanmoins je vais souffrir jusqu’au bout dans cette chaleur et dans les long faux plats. A 15km de l’arrivée il y a un dernier col à passer (Le Tanneron), c’est seulement à cet instant que je vais un peu lâcher prise et profiter entièrement de ces derniers instants de course. Cette dernière journée aura vraiment marqué mon corps et je franchi la ligne d’arrivée à Mandelieu La Napoule bien fatigué mais avec la grande fierté et satisfaction d’être « FINISHER ».
C’est la récompense de beaucoup d’effort durant cette année de préparation. Quelques chiffres : je fini en 93h57minutes pour 56h sur la selle, 1015km et 17624m de D+. Je suis classé 138ème sur 365 partants (216 Finishers). Je totalise 23 montées de 4ème catégorie, 10 de 3ème catégorie, 12 cols de catégorie 2, 2 cols de 1ère catégorie et 3 cols Hors catégorie. Une expérience de vie incroyable menée à un rythme intense !